Carmaux, patrimoine occitan et mondial des prolétaires
1°) Carmaux : Aujourd'hui ville anonymePassez le viaduc du Viaur, ouvert le mois dernier, entre Rodez et Albi, par Tanus allez à Carmaux. Dans ses rues, regardez, vous êtes au milieu de sa dizaine de milliers d'habitants. A part le vendredi, jour de marché, personne. Seuls quelques anciens, au Coin Dulac se remémorent de vieilles histoires. Dire que là, il y a 100 ans vibrait le coeur même de la classe ouvrière jusque dans la voix de Jaurès, son élu, en français à l'Assemblée, en occitan pour les verriers et mineurs de Carmaux !... C'était leur langue maternelle... 2°) Carmaux seule richesse le charbon et los carbonièrs: Carmaux est lié à son site entre Massif Central et Bassin Aquitain, au bord du Cérou. Depuis l'ère Primaire des millions de tonnes de charbon attendaient, pour enrichir la très catholique famille De Solage. Elle exploitait des milliers d'anciens paysans, les nôtres, poussés à venir là, à cause de la crise agricole et vivre en descendant dans le trou pour suer du charbon et devenir carbonièrs. Ces mineurs restaient attachés à leur campagne ils conservaient souvent une parcelle pour nourrir la famille, ces ouvriers - paysans guidés par l'exode rural n'avaient plus que la fosse comme ambition, espérant que leurs enfants aussi pourraient être embauchés. 3°) Carmaux la prolétaire : Citadelle socialisteAprès la victoire de la grève des mineurs de mars 1892, du syndicat "rouge", Carmaux est l'une des premières villes occitanes à se doter d'une mairie socialiste. Socialiste, pas à la sauce d'aujourd'hui, non, révolutionnaire, rouge, avec un maire authentiquement ouvrier, le carbonièrs Jean - Baptiste Calvaignac. Ce 1er mai là, journée de lutte des travailleurs, derrière le drapeau rouge, au cri de vive la Sociale, ils allèrent voter !La réaction patronale dirigée par le marquis De Solage qui pensait posséder la mairie comme il avait sa mine et ses écoles maristes, attaqua l'hérésie socialiste, ces sans-dieu qui pensaient d'abord à faire construire une école laïque... La hargne de ce grand notable ouvertement monarchiste qui a décidé de persécuter ces mineurs qui lui échappent (mise à pied, licenciement...) ne fit qu'enrager ce monde ouvrier qui espérait mieux que des salaires minables et voulait faire démocratiquement entendre sa voix et déjà dans leur mairie... C'était cela aussi la réalité de la lutte des classes.La combativité des mineurs et verriers de Carmaux était animée par cette soif révolutionnaire que rien n'émousse, et dire que c'est en occitan que tout se passait, l'occitan pour ceux qui travaillaient, le français pour ceux qui les opprimaient. Le socialisme à Carmaux vient de ces aristocrates de la classe ouvrière (éduqués, bien payés) que sont ces verriers venus travailler à Carmaux, verrerie Saint Clotilde. Ils étaient des exilés, licenciés du centre de la France pour action politique, c'est qu'ils étaient à l'extrême gauche, guesdiste, là où ils passaient, ils ne faisaient pas que souffler des bouteilles, faisant ainsi payer bien cher aux patrons, leur savoir et leur expérience.Ces ouvriers ne parlaient pas l'occitan, cependant bien intégrés, ce sont eux qui ont été les pionniers du socialisme à Carmaux, inspirateur des premiers cercles. Entre verriers et mineurs, au- delà des langues, c'était la solidarité de classe... internationale. 4°) Carmaux et Jaurès: Jaurès fut ce républicain, d'origine castraise qui se mit au service de la classe ouvrière et devint auprès des verriers et mineurs de Carmaux, socialiste. Il est à signaler que ce mouvement de balancier vers l'extrême gauche était assez rare pour les hommes politiques, sans parler d'aujourd'hui ! On peut dire que Jaurès incarne Carmaux, pas seulement parce qu'il en fut son député dès 1893, mais il y a connu la condition ouvrière, les injustices, a défendu à sa manière la classe ouvrière. Il a su se faire aimer, lui l'intellectuel, dont se méfiaient les ouvriers, il parlait leur langue, celle du peuple, alors, il était devenu l'ami, "nostre jan".C'est à Carmaux qu'il a gagné "ses galons de classe", c'est ici que se dressa sa réputation internationale...Sans Carmaux, pas de Jaurès... 5°) Carmaux : Tentative d'autogestion ouvrière: En 1895, à Carmaux c'est la verrerie Sainte Clotilde qui fait l'actualité. Suite à la lutte acharnée entre les verriers et Résseguier, illustration du parfait patron réactionnaire, surgit une riposte ouvrière à la hauteur de l'exaspération. Il faut dire que Résseguier usa de tous les moyens pour briser l'action des verriers. Il ferma l'usine, expulsa les meneurs, menaces, insultes, il fit même charger la cavalerie !Pour seule réponse, le 25/10/1896, les verriers créent grâce à la solidarité internationale une verrerie ouvrière à Albi. A l'appel de Jaurès et de tous les socialistes, fut construite la première usine qui n'avait pas de bourgeois, pas d'actionnaires anonymes, ce refuge de l'ouvrier libre était par sa nature propriété, certes, mais du prolétariat mondial !Si par son fonctionnement, elle ne remit pas en cause l'ordre capitaliste, voyant ainsi ses limites, par sa seule existence au coeur de l'Occitanie, ces ouvriers révolutionnaires avaient lancé à la face du monde, une mesure d'urgence, marque de combativité et d'imagination, une forme de "viure e decidir al país".Pour conclure : Depuis plusieurs années la verrerie ouvrière a été privatisée, les puits sont fermés, de la Découverte, plus de charbon ne sortira. Il ne reste que des traces pour l'archéologie industrielle et un projet pharaonique, celui de Quilès, qui se dit être une panacée à la faillite et désertification de la ville. Cependant, nous n'avons pas perdu le sens général de ces luttes d'il y a cent ans, même si nous n'y mettons les mêmes mots, elle donnait, à nos anciens, comme à nous un sens à la vie. L'émancipation du monde du travail, à travers une conviction, c'est dans la liberté pour l'Occitanie et tous les peuples opprimés qu'elle pourra se réaliser. Laurenç GUTIERREZ Bibliographie indicative A) ouvrages scientifiques- Rolande Trempé, "Les mineurs de Carmaux" 2 tomes, les Edition ouvrière 1971- Rolande Trempé, "Jaurès et la verrerie ouvrière" Jaurès et la Nation faculté des Lettres et sciences humaines 1965- Gérard Gorgues , "Une histoire des mines de Carmaux" Atelier graphiques Saint Jean, 1992- Jòrdi Blanc, Jaurès e Occitània, collection viure al país, vent Terral éditor, 1985 B) roman- Edouard Roy, "Une fumée sur le toit, Charlou mineur et paysan", édition universitaire, 1982 C) Documents iconographiques- France 3 sud, Au Charbon ! Carmaux photo souvenir, 1994- "Ils ont tué Jaurès !" Carmaux 1994 enregistrement du spectacle mis en scène par Claude Moreau. D) Bande dessinée- Philippe Marlière, Sylvie Montmoulineix, "Jean Jaurès et son discours à la jeunesse", la nacelle 1995- G Cappele, ph Enjalbert, "Jean Jaurès", imp Jacques Mas, 1990
Dans les écoles catholiques ils chantaient : Jaurès a la tribuna Vos prometià la luna Mas de per darrèr Vos fot un cop de pè
Les mineurs socialistes chantaient : 1.Ciutadans escotatz plan Una cançon vos vau cantar Una cançon novèla Facha per un carbonièr Sa sapiença n'es pas bèla Car es pas un bachelièr
2.A pas estudiat vint ans Coma fan tant de fenhants A pas usadas de plomas De papiers ni de gredons Son tresaur e sa fortuna Es d'anar'l cros cada jorn
3.De sièis oras de matin A tresont torna sortir tot usat de fatiga e confat de marrit èr pendant trent ans de sa vida e lo negre per dessert. [...] 8.A Carmauç, fraires, ritorsson los mestres dels carbons ;son els que ne comandane ne dison als patrons ,abatem la Sociala tedrem melhor los paurons.
9.Puei que socialistas son, Re prendràn pas los dròlles al cros Te cal estre progressista , Client del duc d'Orléans, Estre escrit sur la lista, Facha pel rei dels fenhants.
Texte complet publié par Jacques Castagné : Rosières en Albigeois, édition de la Revue du Tarn, 1965, p .128
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